mardi 1 septembre 2020

FIUMICINO INTERZONE


Contexte : Passer dix jours de vacances à Istanbul. Moyen de transport : airbus, vol régulier alitalia via Rome fumicino ; objet : faire la connaissance d’une femme, une franco-maghrébine que m’a présentée une amie venue passer quelques jours à Alger ; prétexte : fêter le nouvel an. Flash éco. : Le billet d’avion  m’a été offert par l’amie entremetteuse.


J'ai à peine eu le temps d'entrevoir les fameux pins parasols à la périphérie de Rome ; on voit se retirer vers la gauche à vitesse grand jet, la plage et l’un de ces faubourgs balnéaires où a été trouvé en 75 la gueule broyée du frère Pasolini. J'ai eu le temps de voir une villa romaine datant de l'antiquité romaine. Par contre, je n'aurai pas accès à la zone sous douane comme la nomment les Algériens, c’est-à-dire, cette gamme d’espace à la plastique horizontale qui frappe les esprits dont le regard parcourt les travées proposant les articles de luxe répartis dans ces compartiments marchands étirés comme à l’infini car longeant une enfilade d’embarcadères au style épuré et froid et à l’intérieur desquels l'on voit fleurir les étals de parfums de marque et d’alcools forts comme ce whisky au teint ambré vendu pour un billet de dix euros quand le red label doit être cédé en magasin, à Alger, à plus de deux mille cinq cent dinars.

 Non, il y a, c’est incontestable,  traitement de faveur, ou dit autrement : différencié. Les voyageurs ne traînent pas à la sortie de l'airbus, se conduisant parfaitement, ils doivent déboucher sur un escalator qui surplombe un prisme triangulaire en béton et en plexiglas blanc, l’interstice est comme préparé à la hâte avec à sa base un portique de sécurité. Des flics en civil à la mine de Rambo et aux yeux viseurs physionomisent les voyageurs, je comprends tout de suite qu'il s'agit d'une mesure de sécurité spéciale, quelque chose se trame, on croise les uniformes sombres des quelques carabiniers mais sans leur képi d'un ancien temps. La tension est palpable car avant d'être palpé très étroitement par un policier aéroportuaire, il nous a été demandés de retirer ceinture et montre. A Rome, on renforce la sécurité  au sortir de l’avion.

Au moment où il m’a été signifié l’interdiction d'accéder à la zone internationale, j'ai éprouvé la remontée par paliers d’une bouffée de chaleur. Peut être la conséquence d’une forme de violence sourde, impalpable, encore en gestation ; me barrer la route et me mettre à l’écart de la procédure normale qui m’aurait vu cheminer parmi les étalages de parfums de marque et de whiskys des boutiques de souvenir mondialisé, mon passeport encore vierge du sauf conduit laisser passer Schengen était le garant d'une attitude distante voire défiante à l'égard de tata la France depuis voilà déjà sept, huit ans. Oui, je confesse : j’avais plus remis les pieds en Europe, le billet de banque holographique Schengen collé au passeport que ça aurait donné un accès sans encombre à la zone free-shop avec ses boutiques au design certain. Je me voyais me faufiler entre les rayonnages sans avoir eu le besoin idiot d'acheter liqueur ou parfum vu que j'avais pas d’fric mais ça m'aurait donné le moyen de perdre du temps à me promener dans les rayonnages des rutilants jack Daniels cinquantenaire et  du black label prestige…

Rappel du contexte : la vraie raison, c’est vérifier sur place l’état de fonctionnement de la marchandise proposée sur Facebook avec le soutien d’une communication positive et alléchante de mon amie qui avait, pour rappel, logé chez moi. Dans cette fièvre primitive de l’étude des préceptes de la pensée de Frantz Fanon , tout s’éclairait d’un jour nouveau. Je devenais objet d’étude, je devenais objet de convoitise, j’étais son héritier, enfin je faisais plutôt partie de son legacy : ce panier garni. L’enfant de parents ex-colonisés enfin vainqueur par ko technique. J’en fus le fruit, le petit a du vocabulaire, les pieds bien plantés dans le sud, solide culture transdisciplinaire, de l’humour et même un physique pas trop vilain. De l’autre coté des mers, mon ombre réfléchie déjà devenait une fiction car j’étais le combattant qui a vengé Abdelkrim et Abdel-kader tous deux défaits par les soldats de la puissance occupante et tous les Kaddour Saïd et Mohamed qui ont échoué dans le broyeur de la machine économique hexagonale à faire tourner à plein régime à la suite de leur guerre universelle entre blancs. Toutefois le contrat était étrange, la puissance financière n’était pas de mon côté, les euros c’est par là bas que ça se passe, toujours, nous n’avons donc pas encore gagné, enfin pas encore la bataille de l’autonomie. Car voilà la femme veut s’attacher un homme doué des gènes de combattant, de beau vainqueur. Surtout pas de troisième generation et de son accent des cités, car on admirait chez moi l’absence d’accent, car je fus éduqué façon troisième république, dictée avec bilan sous les cinq  fautes.

En gros, une arabe de France a pour objectif  d’accomplir sa pleine décolonisation en cherchant à faire un enfant, il faut qu’elle fasse vite, elle avait dépassé la quarantaine, en se liant avec un arabe du bled qui lui n’avait rien demandé – si ce n’est, peut être, faire le tour de gibert joseph à la recherche de nouveautés, et de livres introuvables chez lui à Alger -  et à qui le projet conjugal lui apparaît, avec le recul nécessaire, le piège se refermant sur lui, dessiner les contours d’une recolonisation dans les faits. La France, oui, allait le submerger à nouveau, l’engloutir, ce ne sont pas les doux rêves qui promettent une installation au bled du jeune couple qui y feraient contrebalancer la chose, de l’autre coté de la mer, l’aventure se mêle à la rêverie  d’une installation de colons dans un kibboutz, pourtant, y a de l’infrastructure même ici.

 

Mes yeux se reconcentrent car ils distinguent des pins parasols, on est donc à Rome, on approche de fumiciano l'aéroport de la ville éternelle, aperçu ici et là des villas antiques, vu la plage, peut être Ostie là où est mort en 75 PierPaolo Pasolini, le mec qui a su, le premier, que la religion de l’argent apporté par le général Marshall allait engendrer un nouveau totalitarisme : la culture de masse. On descend, pas de panique à bord, c'est en douceur que cela se passe, j'ai toujours été indifférent à la chose, je n'ai jamais pensé à louer ou prier un dieu en ces circonstances.

L'espèce de tentacule qui relie l'avion à l'enceinte de l'aéroport est dressée, je m'y engouffre, je porte un lourd manteau acheté plus d'une brique dans un centre commercial d'Alger en prévision du froid qui pourrait intéresser ma destination finale : stamboul. Malgré le paquetage, je marche à vive allure, je n'ai pas de temps à perdre, je double pratiquement tout le monde, je sais y faire ; on arrive à une sorte d'espace bâtard par un long escalator, on a le temps d'identifier pas mal de choses : des grappes de flics lourdement outillés, des officiels de l'aéroport et même des physionomistes en tenue civile, curieuse façon de dire buonjorno chez les Romains. Une tension s'installe chez les algerinos aspirés vers un portique de sécurité dressé à la hâte dans ce no man's land moche à souhait, la zone internationale de l'aéroport et sa clinquante zone free shop sont encore un rêve lointain.

Regards durs de ces pupilles bleues agencées aux mâchoires carrées des flics en combinaison, ça zyeute partout, c'est ça le monde actuel, le terrorisme coule dans leurs / nos veines à présent. D'un chahut de basané, deux trois agents convergent vers lui, ils empoignent le compatriote tapageur qui n'avait pas retiré sa ceinture avant franchissement du portique ! Panique encore, quand mon tour vient, le portique voit rouge car mon sac à dos contient des objets en métal non identifiés, les flics qui doivent identifier ça aux rayons x sont dubitatifs, on fait appel à un flic au crâne rasé encore plus méchant. La situation est là voici : ils ne savent pas ce qui y a là dedans, les regards s’échangent en silence, on est inquiets, avant même d'ouvrir le sac. Je leur lance avec mon anglais passepourtout façon pour moi d’apaiser les angoisses : it's my camera and I have two optics , I am a photographer, quelque chose du genre. Le calcul neuronal qui s’ensuit doit avoir avec une forme de sidération qui approcherait la question suivante : pourquoi un bicot aurait il eu le besoin d’investir dans du matériel de photographie ? Les regards qu'ils échangent font foi. « Croyez-moi sur parole. »

Romes pins parasols dont la frappante horizontalité signale des vents arasant le sommets des conifères qui poussent  à proximité d’Ostie, longue langue de sable ou se promenaient Pasolini et ses petits amis au petit jour après avoir fini d’écrire un chapitre de son livre ou le montage de son dernier film ; plongé dans le couloir roulant vers l’enceinte aéroportuaire, j’emprunte un escalator débouchant sur un espace triangulaire au plafond haut d’une dizaine de mètres. Cela accorde au lieu, un imaginaire que n’aurait pas renié le dispositif en forme de défi à plusieurs caméras imaginé par Brian de palma dans lequel le temps semble s’écouler plus lentement. Il y a des images qui vous retournent au cerveau et qu’il faudra malaxer les codifier et les conceptualiser, osons le mot, intellectualiser.

Oui, Car je vois cet escalator débouchant sur deux files, l’une continue de pousser en direction du portique de sécurité tandis que la file de droite débouche sur un simple contrôle d’identité. Le tableau prend forme à la vue de la nature des queues en présence : celle de droite est plus bariolée incarnant le triomphe de la mondialisation insouciante, car de barrières il n’y en a plus. Celle qui file droit vers le portique est clairement plus homogène. Je rêve mais je devine que les carabiniers trient les voyageurs sur la seule base des critères physiques. Nous voilà débarqués dans le bon vieux dix-neuvième anthropométrique : retour des races. Le dispositif est rudimentaire donc gênant : au bout de l’escalator se placent deux policiers qui sont chargés de trier les voyageurs sur la base de leurs traits et leurs vêtements, ainsi les jeunes maghrébins sont immédiatement séparés de la file principale et conduits au portique aménagé à la hâte.

On se toise, entre basanés, surtout moi, isolé, et puis un autre, les voyageurs seuls cherchent du regard une réponse à ce qui leur arrive, racisme ? Sûrement, le terrorisme fait recette : il envoie bouler les fameuses fumeuses valeurs universelles de la civilisation et que reviennent au galop les vraies valeurs perdues, la distinction par la race. Un visage d’étudiant aux lunettes fines se dégage de cette grappe de maghrébins plutôt gredins, mal diplômés, j’en vois qui sont habillés de chaussures de sport noires minables que l’on voit souvent dans les rues d’Alger, et qui signalent une appartenance à ce lumpenproletariat des services, des pauvres diables de moins de vingt cinq ans biberonnés aux applis mobiles et au Youtube et rêvant de London et du cul de shakira , Paris les intéresse peu, démodé.

Il affiche avec ses lunettes fines un visage de bon élève, un carabinier se confond en excuses, je comprends vite : «  je suis brésilien, je suis étudiant et je suis muni d’un shengen » voilà, ça rappelle les sikhs tombés au champ d’honneur par représailles directes after septembre le onze, un enturbanné buté comme ça par un cowboy rougeaud du middle-west pensant avoir affaire à un musulman, ou bien le cas de ce jeune étudiant, un brésilien, descendu par Scotland Yard dans le métro londonien, pensant avoir affaire à un « musulman » «  lui aussi », le nouveau renard à déterrer, chasse à courre mondialisée, nous sommes les cibles désormais, les cafés au lait sont comme damnés , faudra s’y faire, même ma tête charmante de photographe lunaire n’y fera rien, je ne demande rien je constate, je hais les attentes mais là c’est inespéré, le racisme enfin érigé en système au cœur d’une enceinte aéroportuaire de la vertueuse Europe.

J’ai compris, un compatriote, devant moi, dans la file des réprouvés engage la discussion, à Rome c’est bien connu leur arretauport est une passoire comme pas possible, zont peur qu’on leur file entre les doigts ces cons, du coup, ils nous gardent ici

Ici c’est quoi ? On était une vingtaine, on nous conduit dans un espace vaguement rectangle aux allures de froid bâtonnet. L’interzone agit comme un parfait non lieu, un espace résiduel. Cette gamme de lieux dessinés par des second couteaux d’une grosse agence paneuropéenne abritant ses bureaux dans un open space translucide et dont les cases de travail de ses subalternes sont tout aussi reléguées que les mètres carrés inutiles que compte l’aéroport qu’ils auront à dessiner. Les lignes biscornues du volume attestent que l’anonyme architecte programmiste a dû griffonner la mention : «  fonction à déterminer au cas où ? »

Nous sommes dans ce cas où, au cas où, à part deux distributeurs fatigués servant café et barres chocolatées, le triste couloir était bordé d’une enfilade de sièges en acier froid visiblement fixés de fraîche date. L’attente, les flics en uniforme sombre à la sortie étaient trois ou quatre, d’autres sont stationnés non loin, les premières insultes fusent, les compatriotes ont l’habitude, ben oui, quand je vais à stamboul et passant par Rome, c toujours comme ça pour ceux qui n’ont pas le sésame shengen , je venais de deviner le caractère habituel des lieux..

Les pins parasols en vue, Rome pas loin , enfin l’Europe mais subsistait une inquiétude muette, le jour où j’ai appris que je partirais pour istanbul via la correspondance romaine, à la faveur d’un présent, une amie de fac de presque vingt ans, , qui a migré à Paris que j’ai hébergée m’a fait cadeau du billet aller retour , grâce à sa carte visa et un laptop branché au réseau Wi-Fi de chez moi, je lui ai pourtant opposé le fait que j’irai acheter un billet alger istanbul , un direct , un vrai vol souverain sans avoir à faire ce détour par l’Europe, car la Turquie est en Asie mineure, pas encore majeure pour compter parmi la constellation bleutée, mais elle se montrait inflexible et un rien moqueuse : «  j’ai vu à tes yeux ton hésitation, je vois que ton budget est serré » le cadeau empoisonné j’y ai goutté avant de le déballer, la mine attristée quand j’ai su que j’allais remettre les pieds sur le sol du continent impérial, comme un avant goût de l’aventure ici présente.. l’amie qui par ailleurs devenait une fan absolue de Frantz Fanon et des théories décoloniales s’y afférent, tout prenait un sens .. contraire

« Malgré le maigre salaire J'informais mon amie ma bienfaitrice que j'allais m'acquitter de la somme pour le voyage vers Istanbul mais le marché était déjà conclu. »

La mémoire me convoque ce souvenir durant les derniers jours de ma vie d’étudiant en France où une chère amie, encore une Algérienne de Paris qui en m'accompagnant au métro parisien a fait passer son ticket pour que je puisse franchir le tourniquet bien que j'en avais une dizaine dans la poche de mon blue-jean fatigué. Après l’avoir quittée,  au détour d'un escalier qui accédait au quai de mon métro je fus interpellé par la police ainsi j'ai dû débourser trente cinq euros de contravention, coupable de n’être pas muni de ticket validé. Les amis qui vous veulent du bien : est ce que ça ne ressemble pas à première vue aux primitifs sentiments coloniaux ? De ceux qui nourrissaient les mobiles du futur massacre, avant même le débarquement à sidi ferruch ?

Je devais avoir un livre, lequel ? j’étais trop excité par ce qui se passe aux alentours, je crois l’avoir sorti de la poche de mon vaste anorak , le dégainer devant tous ces pauvres diables m’aurait encore plus isolé de la communauté nationale, celle qui se constitue dans l’interzone : espace au statut indistinct ; un fond perdu d’un plan d’architecture décidé par un stagiaire : sûrement un jeune qui débute et qui s’est amusé à laisser deux trois espaces inhabitables, aux recoins de la vaste aire aéroportuaire, de l’air, un «  au cas ou » , nous sommes là pour ça , le ça spatial est parfait pour les cafés au lait en quête incertaine.



Parlant de quête, je range ce roman à la con qui m’aurait différencié de mes compatriotes du jour, qui m’aurait fermé à la compréhension de leurs visages de post adolescents. Ils avaient bien une décade de moins que moi au compteur, même quinze, ils sont nés pour la plupart au début de la seconde guerre, l’un d’eux s’explique, il vient à moi, ou c’est plutôt moi qui m’approche de lui ?  Vous savez quoi ? Ce fut une décision , j’ai dégainé le fuji, et il a réagi. Il a posé; en posant, je lui pose des questions, i me répond franchement : oui stamboul puis izmir puis la grèce et arrivé là bas , ça dépend , y en a ici qui ont déjà fait ça mais ils ont été refoulés, on retente notre chance, à izmir on prend le bateau, puis on voit, je finis par «  voir ». Sur ces curiosités, je rétorque : ben moi c’est stamboul la destination finale, ah oui, oui, c’est juste pour les fêtes de fin d’année, en vacances quoi ! Je ne vais pas à izmir oh que non , pour moi izmir c’est le sud de l’anatolie enfin, la cote anatolienne qui descend des Dardanelles dans le sens nord sud dessinant une cote accidentée, la fameuse turquie grecque, troie, l’ionie , la mer ionienne, Rhodes Thalès de Milet et l’autre là Éphèse , je me serais contenté d’aller suivre le chapelet de ruines grecques jusqu’au camp concentrationnaire d’izmir, vaste camp de tourisme de masse de masse mondiale à ce qu’on en dit, et c’est là bas que mes compatriotes du jour veulent se rendre, pour prendre un bateau pour la Grèce toute proche avec ses centaines de terminaisons nerveuses. conclusion : le vieil homme malade de l’europe, durant son agonie, a enfanté d’une nation nouvelle mis au ban de l’europe, une expulsion et un tri ont été mis au grand jour.

Rien que l’autre jour, je disais que ça faisait bien une décennie que j’ai pas remis les pieds en europe par choix ou par contrainte mais aussi et surtout suite à une émotion vive : un profond sentiment de défiance, une désinvolture. Et surtout : une mise à l’écart, je me suis retiré du marché de la culture avec son lot de dossiers à constituer pour espérer glaner des subventions et des permis de voyager librement eu égard à mon statut présumé de futur artiste réalisateur de boniments animés sur pellicule numérique appelés à provoquer l’admiration de deux trois racailles de la critique ici et là en europe ou chez leurs supplétifs du sud suffisamment puissants pour prescrire l’œuvre sur les antennes respectives ici et là, les mêmes enfin tournoient comme une nuée de mouches autour d’un palais de carnaval de film irradiant de leurs éloges la future carrière d’une croûte sur grand écran. Un ami a objecté, montrant que j’avais été en voyage à stamboul, comme pour situer l’ancienne capitale byzantine en europe, mais la capitale de cœur d’erdogan est désormais dans ce nulle part, elle est tout comme moi , en attente de statut, un pied dans le vieux continent pouacre, un autre chez l’ogre asiate , la ville s’écartèle, une torture qui fait le charme de la cité-état.

Rome fumicino territoire passoire, voilà comme l’avait décrit mon gars celui qui a posé le premier pour moi, il avait une veste qui faisait plus chic que ses copains restés en retrait, eux se méfiaient encore, lui avec sa gabardine simili laine il avait pris confiance, il était bien mis, les cheveux coupés impeccables, rasé de près mise à part un triangle de poils minuscule sous la lèvre en guise de barbichette il a posé en leader façon mafioso, un titi algérois en quête d’Europe, pour tremper quequette dans fourneau blond entre Bratislava et Berlin, entre Berne et Rotterdam, il a suffisamment de cran pour narguer l’attrait proposé par le dépaysement hexagonal, car voilà l’europe est ailleurs et tout autour du vieux croûton objet d’une méfiance primitive, le parfum d’europe l’a quitté en acceptant de devenir un empire africain.



Le gros de la troupe a suivi et j’ai pu mitrailler en prenant mon temps, une poche mafieuse qui se crée sous les yeux de mon objectif, au menu : petits larcins, escroqueries aux cartes magnétiques et peut etre meme deal de dope. Les deux seules filles qui étaient du voyage ont souri même si ça leur était difficile, je ne crois pas qu’elles étaient tentées de faire le trip jusqu’à Izmir puis les îles grecques, mais qui sait ?



Passoire, toujours, dans le bureau du fuhrer à bechtesgaden il réfléchit avec ses généraux à gober cet allié fasciste aux allures de boulet car jugé  incapable de remporter la moindre victoire sur des champs de bataille pourtant rudimentaires, les descendants de julius caesar et auguste incapables de pacifier la Yougoslavie, la Grèce, leurs possessions en Libye et dans la corne de l’Afrique et le débarquement en Sicile menace l’intégrité du pouvoir du Duce , rien que ça, ces alliés sont un fardeau et nous, descendants des numides colonisés par la puissance romaine nous sommes la solution révélatrice, fumicino, fumier branlant d’une Botte délabrée, dent de sagesse cariée à extraire au plus vite.



L’amie que j’ai logée en octobre donc m’a fait cadeau du billet pour Constantinople, d’un tour de main sur son téléphone intelligent relié par internet via mon réseau wifi a acheté un billet alger rome stamboul stamboul rome alger, étrange tout de même, depuis alger, les algérois algériens achètent des billets alger stamboul direct , fumicino i connaissent pas.

Le billet aller retour allait s’avérer un sacré cadeau et pour cause je reviendrai à fumicino dans dix jours, et cette fois ci j’aurais même pas droit au bus des passagers. J’ai enduré le véhicule estampillé polizia. A la manière du dangereux criminel, deux flics devant, un derrière et deux indigènes dont moi, manquaient les menottes pour finir de composer le tableau, kafka sors de ce tableau. J’étais coupable collatéral, mon tort est d’avoir traité avec le plus profond des mépris le pass schengen. Dans l’avion vide, mon compagnon indigène, certainement un échoué d’une autre poche migrante m’a fait un large sourire comme pour adoucir le tableau.



Pourquoi tout ça ? Il ne s’agit pas de cri mais plutôt d’un statement, poser un bâton dans la boue de la mémoire pour y laisser une trace. Les vents sont contraires, il y a donc orage, et on peut en rendre compte. Moi, désormais immobile, on a brisé la monotonie pour un voyage étrange.

Je n’existais déjà plus, le dessèchement des sociabilités chèrement acquises des années durant était la conséquence d’un refus ferme de frayer avec tout ce qui s’apparentait à tata la France. Son hydre s’étendait sur de nombreux relais et guichets pour subventionner les anciens colonisés et leurs films qui seront montrés dans les carnavals de film où suintent les sentiments de culpabilité postcoloniale de quelques privilégiés européens situés à gauche qui maîtrisent le jargon critique, qui auront pour tache de diffuser donc la bonne parole et ainsi renvoyer l’ascenseur pour les meilleurs indigènes en leur octroyant un emplacement sous la forme d’un visa de deux ans pour leur permettre de jouir des joies offertes par Paris, de la beu en vente libre dans les échoppes d’Amsterdam et en été de braver le danger de se voir moquer la déformation inquiétante de leur maillot de bain à mater les poitrines phénoménales des adolescentes bondissantes qui perlent le rivage de la torride Costa Brava. Voici comment  quand ils ont le mal du pays des blancs surtout quand ils sont plongés dans les déprimes algéroises saisonnières, c’est souvent ce qu’on ressent après un séjour prolongé à la maison Alger ou même pour la fuir pendant le ramadhan, Alger : ville dépressive de classe unique. Pour les plus méritants, ça sera une carte de séjour de dix ans, et la porte ouverte au sésame : la francité belle et entière, comme l’ultime remerciement pour services livrés à la République.

Je n’existais plus car je ne me montrais plus dans ces oasis de mondanités durant lesquelles les téméraires font le signe de croix avant de tailler la bavette avec le responsable de l’action culturelle de l’ambassade hexagonale en lui prodiguant les bonnes paroles telles que celles-ci : «  pour mon premier long métrage, j’ai besoin de votre plein soutien bien que le scénario dérange les deux pays car oui mon propos est dérangeant, propre à déstabiliser le roman national. » Une belle tête de vainqueur, surtout quand, des années plus tard, bouffi par la mauvaise vie et l’oubli consécutif à un talent imperceptible,  dans ce coin de bar minable à paris il se repassera le générique de fin de sa chantilly audiovisuelle où il est fait obligation de remercier tata la France ainsi que toutes ses filiales. Un vrai danger donc pour les valeurs de la république.

A ce stade, je me rétracte, fermée la france, toute l’europe se ferme à moi, et moi à elle, quelques voyages au moyen orient, et puis c’est tout, mon espace c’est ici enfermé. Fier de cette disette d’europe , qui quoi pour m’en empêcher ? Un voyage, à Rome, du moins pour transit, une expérience brève, mais une punition dans les termes. Ici, vous serez sous haute surveillance policière comme un malpropre, vous vous êtes rendu coupable de mépris pour votre ancienne maîtresse. J’avais rien demandé, ou presque ; c’était juste pour reprendre goût au voyage, faire quelques photos des mosquées de Sinan, et peut être découvrir les murs épais des remparts de Constantinople au nord du quartier de Fener et de Balat, tâter de la frontière. L’Europe est derrière le mur et je ne suis pas prêt à le franchir.

L’europe a fini d’exister dans mes veines dans mes tripes, ne demeurera que l’objet d’étude, on s’y fait au sud, par notre refus mutuel, je me fais sud et vous dans le là bas, aucune réconciliation en vue, la haine sourde silencieuse, le terrorisme est garanti cent pour cent moral à l’encontre de ce tas de fonctionnaires de la police de Fiumicino , un mélange de bêtise obéissante et de mépris instinctif pour nous autres, café au lait.

J.O / Br.