mercredi 7 novembre 2012

Sous l'eau, les algues



en vue de raviver la flamme de la poésie dans notre éternel foutoir, en voici un textaillon; il date un peu ( couché probablement entre 2002 et 2004) lu dans la petite salle de l'opéra de Lyon en 2007, j'en avais fait quelque chose d'orageux et de wellesien, un moment menaçant et gothique. J'ai ressenti les vibrations de la centaine de gens présents dans la salle, et j'ai même pas été chercher les remerciements, non mais ! 













Algueraie épique[1]

Pays perdu des amitiés déçues
Filaments des âmes hébétées

Lueurs des possibilités de l’humain
Découvrant le creux abyssal du dedans
Défaites des pensées, défaites de la parole
Sourds-muets aux enjeux tueurs
Amertume enveloppant l’algueraie Malade
Outragée champ de mines de bactéries
Insufflant aux salades de mer chlorophylle
Le poison latent du confort mondial
Des joies de caddies emplis
Des bermudas frappés de marques de la liberté
Des pantalons pêcheurs ne sachant pêcher
S’épanouissant qu’ils disent aux bras de la fée enveloppante
Celle qui finira par empoisonner toute l’algueraie
Finissant par la putréfier, la pourrir
Champ des puanteurs, mer nauséabonde
Les estivants englués dans la marée, devenue égout
Ragoûtants pour les mouches à merde
Étrons humains errant dans la plage abominée
Épopée des fuyards frelatés, maman ! Papa ! Où êtes vous ?
Ils ne sont plus, ils s’en vont mourir une vingt cinquième fois
Ils s’en vont rejoindre les empuantissements d’un passé benne à ordure
Quoi, des vacances ? tu n’y penses pas
I sont pas près de me revoir, ni eux ni elle
Crois tu que tu te bouteras hors de l’algueraie
Crois tu que tu décocheras la flèche qui t’arrachera d’elle
Crois-tu à l’épanouissement dans les bras de la première venue
Crois-tu à l’épanouissement en lavant les latrines des barrières de corail
Crois-tu t’en sortir en jouant au grand frère auprès des jeunes pousses d’algues
Crois tu réussir en donnant la leçon aux petits pousses de corail
Crois tu t’arracher à l’algueraie
Sache que l’algueraie est une de ces pieuvres aux terminaisons incertaines
Aux tentacules de la longueur de l’amertume
Elle a de la mémoire mon pauv’ gars, l’amertume giclant
De l’ancre noir s’encastrant en toi, dans le fil des lignes
Dans le fil des livres que tu liras
Dans le but avoué de t’instruire
Elles ne renverront, hélas que l’amertume
L’encre noire des lignes se diluera de nouveau
Sautera à ton coup, à ton visage
Te rappelleront au doux souvenir de l’algueraie
Au doux souvenir mortuaire
A l’amertume des remords démultipliés
Des abîmes surgissant du sol des amitiés fausses
Des sourires forcés de la forêt d’algues
Nous sommes une forêt dispersée par la seule grâce des tentacules
Tentacules actionnés par la centrifugeuse centrale
Te catapultant après t’avoir fait vomir
Vomir de dégoût pour l’algueraie
De haine pour la confrérie chlorophylle
Le cycle de vie de Krebs tu t’en fous maintenant
Tu es en phase de tournoiement, de centrifugation
Attends tu ton tour, frère pour l’expulsion finale
Attendu que ton cas fût classé, casé, tu seras expulsé dans les meilleurs délais
On t’implantera un circuit intégré dit du réflexe canin qu’on appellera épanouissement
La plante finira par essaimer en nouvelle algueraie dira-t-on
Elle finira par s’émanciper en nouvelle colonie,
Mais avant, elle devra haïr sa colonie originelle
Non haïr mais cracher dessus, de l’encre, il en va sans dire
Jetant son encre dans les rivages d’un nouvel océan
C’est ce qui est consigné dans la puce
La vérité est toute autre…
Le poison des origines finira par se diffuser en toi
Réglant ton compte, non en te trucidant
Mais te fera souffrir plus de cent ans
Tu auras du mal même à marcher
Empoigner les portes du foyer
S’adresser à la foule pour chemin frayé
Parce que la fin, Balbutiant les idiomes d’un passé enterré,
Le bilinguisme dont tu rêvais, est enfin apparu mais vers la fin
Vers la fin des instants qui durent, le système de santé est puissant
Les médicaments assistant ta décrépitude n’en finissent pas de t’assassiner
Te voir mourir à petit feu, à toute petite lueur, à trop petite lueur
Finira presque par oublier la langue des soigneurs
Manquera de te faire tuer pour cette fois
Mais les interprètes sont ici par milliers
C’est bien la colonie que tu as essaimée
Maudite colonie, mais que faites vous ?
Pourquoi m’assistez-vous bon sang ?
Allez vous en, rentrez chez vous !!
Qui vous a dit de rester ?
Mais papa radote en quelle langue
Papa délire parfois dans l’idiolecte de l’algueraie originelle
Papa est fatigué et doit se reposer
Papa doit dormir, papa doit se faire faire une piqûre
Papa m’entends tu ?
Un peu que je t’entends mon enfant
Mais dit moi, tu es devenu sourd ou quoi ?
Hein, dis moi, pourquoi ne rentres tu pas en algueraie
Pourquoi ?
Fais en sorte que tu puisses rentrer au plus vite dans l’algueraie
Le grand avait pour habitude d’entendre parler son vieux
Parler cette linga-franca du passé, mélange, sabir intelligible
Pour les seules pousses d’algues dites originelles
Aah, laissez moi l’entendre, il nous parle du fond de ses pensées
Du fond philosophique de son enfance, qui mieux qu’un enfant
Qui mieux qu’un mioche pour nous éclairer avec la plus saine des téléologies
Le vieux nous dit d’entrer, ou de rentrer
Rentrer mais ou, puisqu’on est jamais sorti nulle part
Ben, oui ; à part le carrefour-fnac du coin, j’vois pas, non clame une des pousses les plus minables
Il nous dit de rentrer à la maison, à l’algueraie, il nous dit que vos racines sont là bas
Que même s’il aime pas trop les racines – peu ragoûtantes – faites le pour lui
Que pourrions-nous lui dire ?
Il ne le sait pas
Non, il ne le saura pas
Ça précipitera son diagnostic vital
Ça rendra son cortex plus mou, plus sénile, ça sera horrible à voir
Ça sera terrible pour nous, spectacle vomitif
On ne pourra le supporter, il sera encré dans nos mémoires
On finira par avoir des remords, des regrets, de l’amertume
Oui on ne pourra lui dire que l’algueraie a fini par s’étouffer
S’étouffer dans son plasma d’amertume
A fini par la phagocyter
Le moteur centrifugeuse central a fini par tournoyer
Car il n’y avait plus de pousses à projeter
Il n’y avait plus de carburants – d’autres pousses enfournées, les moins chanceuses –
Il n’y avait plus d’expulsion due aux forces centrifuges
A fini telle une géante rouge, finit par gober tout ce qu’elle avait à gober
Finissant par imploser par son propre poids
Dis lui qu’ils ont pu recueillir un peu des effluves de la grosse
Oui rien qu’un peu de pus, un centre purulent, petite centrifugeuse
Miniature, dégaine de naine blanche
Rigolote mais pas trop, car elle pue somptueusement.

Boue algueraie amertume. 
le poète et sa mitraillette



[1] : Poème écrit, façonné par le clair de lune de Ludwig.


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